Décoloniser l’architecture: une théorie encore naissante
« Contrairement aux attaques visant des domaines apparentés, tels que le système artistique, la production visuelle, les institutions muséales (pour n’en citer que quelques-uns), l’architecture n’a pas encore fait l’objet d’une critique de la fonction de colonisation mondiale. »
Cette citation tirée du dernier ouvrage de l’anthropologue et architecte italien Francesco La Cecla, Addomesticare l’architettura. L’Occidente e la distruzione dell’abitare (Domestiquer l’architecture. L’Occident et la destruction de l’habitat), met en lumière notre incapacité à voir et reconnaître la dimension coloniale, et postcoloniale, de la discipline architecturale.
Pour rappel:
Les théories raciales appliquées à l’architecture s’intensifient surtout à l’époque impérialiste, c’est-à-dire à partir du XIXᵉ siècle . Ces théories servent alors à justifier la domination de l’Occident sur les peuples colonisés. Les occidentaux s’érigent comme civilisation moderne et avancée, producteurs de la “vraie” architecture. (Pour plus de détail voir mon article Les origines impérialistes de la pédagogie architecturale)
C’est cette hiérarchisation des pratiques architecturale qui initie un bouleversement global dans la culture de l’habitat dont les effets se prolongent jusqu’à aujourd’hui.
Cette domination s’est traduite par l’effacement des cultures architecturales locales, au profit d’une “hygiénisation” et “modernisation” uniformisée fondée sur des critères esthétiques et techniques issus de l’Europe post-industrielle. Le béton, l’acier et le verre sont les symboles de la modernité, tandis que la terre crue, le foin ou d’autres matériaux naturels sont perçus comme des vestiges archaïques ou des expressions vernaculaires.
Dans son ouvrage, La Cecla dénonce les ravages provoqués par le mouvement moderniste à l’échelle mondiale et appelle à repenser une modernité contextuelle. Cependant, son livre n’apporte ni solution concrète ni de cas d’étude précis. Il reste volontairement général, et là semble être le cœur de cet ouvrage: la théorie architecturale accuse un retard considérable par rapport à d’autres disciplines voisines, comme la critique artistique ou muséologique.
Il n’y a encore que peu de facultés d’architecture qui interrogent le mythe de l’archistar ou encouragent leurs étudiants à concevoir une architecture réellement contextuelle, où l’ego esthétique de l’architecte cède la place à une responsabilité culturelle et sociale.
Cet écrit nous pousse ainsi à repenser notre manière de concevoir, de théoriser et de pratiquer l’architecture. En le lisant il me rappelle aussi la rareté des publications qui questionnent le choix des pionniers du modernisme: Le Corbusier, Mies van der Rohe, Louis Kahn, Frank Lloyd Wright, pour n’en citer que quelques-uns, ou de leurs précurseurs tels que Auguste Perret, Henry van de Velde ou Karl Friedrich Schinkel. Qui théorise l’architecture et quel impact ont ces théories sur la pratique.
Bien qu’il me semble que le livre reste en grande partie superficiel sur les implications concrètes du colonialisme architectural, et des tentatives de recontextualiser l’habitat, sa lecture est simple et accessible, elle permet de nous questionner sur ce qui nous à été enseigné et ce qui nécessiterai un nouveau regard.
« La monoculture architecturale est aujourd’hui une monstruosité qui envahit comme un cancer l’ensemble du paysage mondial. »
Dans mes prochaines lectures je prévois d’inclure Race and Modern Architecture. A Critical History from the Enlightenment to the Present par I.Cheng, C.Davis II et M.O.Wilson. Ce livre explore plus en détails la domination occidental aux travers de l’architecture, je l’ai déjà partiellement lu pour écrire l'article Les origines impérialistes de la pédagogie architecturale, je me réjouis de plonger dans une lecture plus détaillée.
Tout conseil de lecture est fortement apprécié.